Plus qu’un savoir-faire, c’est autour d’un savoir-vivre à la française que Mariage Frères travaille son image de marque, en France et à l’étranger. Une maison qui fête prochainement ses 160 ans.
Il aurait pu être diplomate, embrasser une carrière d’ambassadeur. Mais une rencontre a eu raison de lui : en 1984, Kitti Cha Sangmanee se retrouve à la tête de Mariage Frères, une maison mythique pour son thé, qui avait une histoire séculaire… mais un univers à construire.
Au-delà du thé haut de gamme, il formalise « l’art français du thé », entre lifestyle et luxe, avec une identité forte, des lieux ouverts, et une marque reconnue dans le monde entier : le thé n’est plus seulement anglais ou asiatique, depuis les années 2000 il faut compter avec le « french tea », ses saveurs recherchées, osées, aussi diverses que le thé au muguet, au macaron, et la perfection de ses grands crus.
Avec la complicité du directeur artistique, Franck Desains, l’histoire de la maison s’écrit dans la recherche des parfums, la conception des contenants, les ustensiles, mais aussi l’aménagement de lieux conviviaux, à la fois uniques et identiques dans la qualité du service. Dans l’esprit d’un thé haute couture, le duo lance des collections, jonglant avec les couleurs, travaillant avec force l’identité visuelle et la relation au client.
Comment font- ils le pont entre le passé et le présent?
Naturellement. On connaît tous l’image d’origine : le mur de boîtes noires à l’étiquette jaune, rangées comme des denrées précieuses. Peu à peu, ils élargissent les concepts et déclinent des codes couleur pour marquer cette diversification, un exercice de style à chaque fois, qui propose une transformation sans dénaturer l’ADN de la marque : « L’essence de Mariage Frères n’a pas changé. Nous travaillons toujours au plus près des planteurs… et nous restons avantgardistes, comme en inventant au XIXe siècle le thé au chocolat. » Ils voyagent beaucoup, fonctionnent à l’intuition plus qu’au marketing, et de ce fait devancent bien souvent les tendances : ils sont les premiers à lancer les boîtes fluo dans les années 1980, et osent la couleur jusqu’à la collection « I have a dream », aux tonalités arc-en-ciel, début 2013… qui rencontrera un écho particulier avec l’actualité quelques mois après, entre le « mariage pour tous », les 50 ans du fameux discours de Martin Luther King, et la mort de Nelson Mandela. Les collections sont pensées comme des flacons de parfum. « La beauté est aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, quand le thé est noble, il doit l’être à l’extérieur. » Mais il faut que ce soit pratique et fonctionnel, « que les gens puissent apprendre s’ils en ont envie ». Les déclinaisons des étiquettes en langues étrangères, les effets calligraphiques offrent aussi une autre cartographie du thé. Le choix du nom est très important : « Je voulais rendre le produit humain. »
« La modernité est dans la recherche des produits, le luxe est dans les détails »
Une science du détail
En 1988, ce sont les premiers à décliner des accessoires de déco maison : les bougies au parfum de thé, qui précisent leur orientation lifestyle. « La modernité est dans la recherche des produits, des contrastes, des couleurs, le luxe est dans les détails. » Cela va du logo imprimé sur la nappe… au grand cru trouvé dans un jardin confidentiel sur le Fuji-Yama, en passant par le doseur en forme de feuille de ginkgo et les lampes Napoléon III qui éclairent les tables d’un salon, vraies antiquités et non pas imitations. Au Japon, d’ailleurs, Mariage Frères est une institution ; les étrangers ont été les premiers à reconnaître cet art français du thé, et à faire de la rue du Bourg-Tibourg ( premier comptoir historique) un haut lieu de pèlerinage. « Quand on pousse la porte d’un comptoir ou d’un salon Mariage Frères, c’est une invitation au voyage. » Toutes les générations se retrouvent chez Mariage Frères, pour des raisons diverses. Dans cet esprit de luxe, le thé est décliné comme un élément de gastronomie :
dans les salons, il est utilisé pour la conception des mets, chaque théière est considérée comme un plat unique, et chaque année voit
sa collection sortir.
Un statut d’icône du luxe
Au début des années 1980, la marque s’impose dans le haut de gamme et dans le style en rééditant des théières inspirées des années 1930, puis les théières en fonte, la porcelaine de Chine dans les années 1990, le verre aujourd’hui, de la réinterprétation des samovars jusqu’à des formes ultra-contemporaines. Tout est fait main, et en interne : une french touch certifiée authentique. Franck Desains dessine les croquis, les formes, s’inspire de ses pérégrinations dans le monde pour des clins d’œil, des références fines, des métissages, faisant s’entrechoquer les époques et les cultures jusque dans la conception des étiquettes : celle présentant les prochains grands crus réunit entre autres le mont Fuji et un petit avion tout droit sorti d’un manga. Un vrai travail de positionnement et d’identité qu’envieraient nombre de designers. Vous ne verrez pas Mariage Frères dans un salon d’art gourmet, mais la marque est très fortement présente dès les premières esquisses de Scènes d’intérieur de Maison & Objet : « Nos produits s’intègrent dans tous les environnements, du cottage à l’appartement haussmannien en passant par le loft contemporain. » Il n’y a pas deux salons semblables dans le monde, car la marque investit un lieu non pour l’effacer mais pour le rendre à lui-même. C’est pour cela qu’il n’y a pas de franchise, chaque écrin est une maison de luxe, avec le même respect que celui du produit initial. Avec un soupçon de malice, M. Sangmanee conclut : « Quand on a commencé à retrouver nos produits dans des scènes de cinéma, on a su qu’on était vraiment devenu un symbole de l’art de vivre. »